Interview

Décarbonation

Le lien entre la mobilité décarbonée et les villes

  • François  Gemenne

    François Gemenne

    Membre du GIEC et co-directeur de l'Observatoire Défense et Climat à l'IRIS Conseiller scientifique

01 Avril 2024

« Réaliser beaucoup plus »

 

Pourquoi avons-nous besoin du think tank The Mobility Sphere ?

Les gens craignent que l'action climatique ne se traduise par une augmentation des coûts et une diminution de la mobilité individuelle. C'est exactement le bon moment pour lancer The Mobility Sphere, car nous devrons résoudre ce dilemme, nous devrons montrer que la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de la mobilité n'est pas une contrainte, mais qu'elle peut aussi être un projet et une opportunité pour de meilleurs transports.

The Mobility Sphere vise à rassembler un large éventail d'acteurs impliqués dans la mobilité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, des fournisseurs de transport aux utilisateurs de transport. Et de les faire réfléchir ensemble à la meilleure façon de réaliser une transition juste dans le secteur de la mobilité.

 

Pourquoi l'humanité éprouve-t-elle des difficultés à traiter des questions à long terme telles que le changement climatique ?

Le système climatique présente une forte inertie. Le changement climatique est un problème de stock et non de flux. Le problème vient de l'accumulation des gaz à effet de serre au cours des siècles passés, et c'est la raison pour laquelle de nombreux jeunes éprouvent du ressentiment à l'égard de leurs aînés parce qu'ils se rendent compte qu'ils souffriront des effets du changement climatique alors que cela n'a rien à voir avec leurs propres émissions, mais tout à voir avec les émissions de leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. C'est pourquoi, en raison de cette déconnexion dans le temps et l'espace entre nos actions et les effets de nos actions, nous n'avons pas la possibilité d'expérimenter concrètement les résultats de nos actions. Il s'agit là d'une difficulté cognitive majeure.

 

Le forum d'Amsterdam vous a-t-il donné l'espoir que les difficultés cognitives peuvent être surmontées ?

Nous avons toujours insisté sur les avantages de l'action climatique, en disant aux gens que s'ils mangeaient moins de viande, ils pourraient avoir une alimentation plus saine et réduire le risque de certaines maladies associées à une alimentation riche en viande. Nous leur avons dit qu'ils devraient faire du vélo plutôt que de prendre leur voiture pour de courts trajets, parce qu'en faisant du vélo, ils pourront faire de l'exercice et profiter de l'air frais.

Mais ce qui m'a frappé lors de la première conférence, c'est que les co-bénéfices de la décarbonisation de la mobilité dans les villes sont si importants pour la construction de villes plus agréables à vivre que nous devrions peut-être envisager les choses dans l'autre sens. Peut-être devrions-nous penser non plus aux co-bénéfices de la décarbonisation, mais à la décarbonisation en tant qu'effet de la construction de villes plus agréables à vivre. Il pourrait s'agir d'un changement fondamental si la décarbonisation n'était plus l'objectif, mais plutôt le bénéfice de nos actions pour repenser le transport, et donc pour repenser les villes et la façon dont nous nous relions les uns aux autres.

 

Comment s'assurer que la décarbonisation des transports profite à tous ?

L'un des principaux objectifs de la création du groupe de réflexion était évidemment de travailler sur la décarbonisation des transports et de la mobilité. Mais en faisant cela, nous pouvons redessiner les villes et
et donc la façon dont nous sommes en relation les uns avec les autres et la façon dont nous vivons. Nous devons réfléchir aux liens entre les personnes qui vivent dans les villes et les personnes qui utilisent les villes, ou les personnes qui se rendent dans les villes.

Nous avons tendance à opposer les gens entre eux, les habitants des centres urbains et les habitants des banlieues, à opposer les automobilistes et les usagers des transports en commun, à opposer les usagers de certains transports en commun et les usagers d'autres transports en commun comme s'ils étaient en concurrence. Je pense que nous devons reconnaître que chacun d'entre nous utilisons tous des moyens de transport différents.

Ce qui crée un certain ressentiment chez les personnes vivant dans des régions périurbaines ou rurales, c'est qu'elles ont l'impression que tous les efforts et les investissements sont concentrés dans les villes et qu'elles sont laissées de côté et exclues de la décarbonisation en tant que projet politique. La décarbonisation de la mobilité ne sera pas une réussite si les gens ont l'impression d'être exclus. Le défi de ce groupe de réflexion, The Mobility Sphere, est d'essayer d'éviter cela en considérant l'équité non seulement comme une sorte de grand principe moral, mais aussi comme une condition de l'efficacité. C'est exactement la raison pour laquelle The Mobility Sphere peut réaliser bien plus que ce pour quoi elle a été conçue.