Interview

Décarbonation

Ecologie et solidarité : unir nos forces

28 Janvier 2025

Élément clé de la société civile, les organisations non gouvernementales (ONG) qui se concentrent sur la politique liée au bien-être social ont des contributions majeures à apporter au débat sur l’avenir de la mobilité. Le Mobility Times a demandé à trois ONG comment, selon elles, l’Europe peut se rapprocher des objectifs de décarbonation des transports tout en ne laissant aucune partie de la population socialement et économiquement vulnérable de côté.

Un peu de courage (Arnaud Potel, Membre Pour Un Réveil Écologique)

Comment la mobilité peut-elle contribuer à la cohésion sociale ?

La doctrine dominante aujourd’hui est qu’il faut un transfert du véhicule individuel massivement utilisé vers les transports en commun. Pour que cela fonctionne, il faut développer la notion d’acceptabilité de l’écologie. Il y a beaucoup d’écologistes qui réclament des mesures écologiques, mais elles sont souvent inacceptables socialement. Il y a un manque de pédagogie dans ce domaine.

Les transports publics sont-ils suffisamment attractifs ?

Beaucoup de gens n’utilisent pas les transports publics, et ce n’est pas forcément une question de prix des billets. C’est une question de solutions. Même lorsque des solutions existent, il y a un effort mental à fournir pour les utiliser. Dans certains pays européens, il est possible de prendre les transports en commun en passant simplement sa carte de crédit. Ce système est en place dans des villes comme Marseille, Dijon et Lyon en France, et à Bruxelles, en Belgique, il est même moins cher que les tickets physiques. Mais à Paris, par exemple, il existe une pléthore de titres de transport différents. C’est comme si on voulait dissuader les gens de prendre les transports en commun. Le vrai problème, c’est ce manque cruel de lisibilité. Les gens ne comprennent pas ce qui est proposé, ni où sont les horaires. Ils prennent donc leur voiture.

Quel serait l’exemple d’une bonne pratique ?

Nous devons examiner de plus près les péages urbains, en particulier dans les centres urbains très denses. Il n’est pas possible d’interdire aux gens d’utiliser leur voiture, mais il pourrait y avoir une taxe, en fonction des revenus, de la taille, du type et de l’âge de la voiture. Certains trouvent cette idée effrayante, mais elle peut être acceptée si elle est expliquée correctement. Il faudra un peu de courage pour la mettre en œuvre.

Un message aux autorités locales ?

Arrêtez de développer des projets absurdes. Je ne suis pas du tout certain que le projet parisien de liaison ferroviaire dédiée à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle contribue à décarboner la mobilité alors qu’il existe déjà une liaison en transports en commun. Une liaison directe à 25 euros augmentera encore plus la ségrégation sociale. Et vous inciterez les gens qui prennent déjà beaucoup l’avion à le prendre encore plus. Nous devrions plutôt chercher à décarboner la mobilité qui se fait dans les zones périurbaines, et entre les zones périurbaines et le centre-ville.

Une transition socialement équitable (Diane Strauss, Directrice, France Transport et Environnement)

Quelle est votre appréciation des progrès accomplis en matière de décarbonation des transports ?

Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment crucial. Le Pacte Vert de l’UE est une évolution positive, mais il a été conçu sans les moyens suffisants, financiers et sociaux, pour être mis en œuvre de manière socialement équitable. Les responsables politiques doivent décider s’il convient de le faire progresser en ajoutant une composante sociale à sa composante industrielle. Il s’agit là d’une dimension très importante. Mais le paysage politique a changé et certains veulent revenir sur certaines parties du Pacte Vert.

Comment le Pacte Vert devrait-il évoluer ?

Nous avons besoin d’une nouvelle approche écologique qui s’articule autour d’un contrat social. Nous sommes arrivés à un point où toutes les réglementations et toutes les taxes sont perçues comme punitives. Nous devons organiser la transition de manière à ce que les groupes les plus fragiles et les plus vulnérables de la population aient accès aux solutions de décarbonation sans avoir l’impression d’être punis.

Un exemple ?

Prenons l’exemple des voitures électriques. Les ménages à faibles revenus n’ont pas les moyens d’en acheter. Environ 60 % sont achetés par des entreprises et 40 % par des ménages aisés. Nous devons demander aux entreprises, en particulier, d’être à l’avant-garde de l’électrification. Il s’agit d’une mesure sociale à double titre : d’une part, on ne fait pas peser la charge de nouvelles voitures coûteuses sur les ménages à faible revenu. Et deuxièmement, après quelques années, il y aura un marché de l’occasion avec des voitures électriques abordables. Si l’on ajoute à cela des programmes de crédit-bail social, on peut imaginer l’impact.

Les comportements devront-ils changer ?

Nous devons trouver un consensus sur le fait que les personnes et les entités qui ont plus d’argent contribuent davantage à une transition socialement équitable. Les ménages à faibles revenus n’ont souvent pas de bonnes alternatives à leur voiture privée. Pour réussir la transition, ils ont besoin de solutions de mobilité abordables, sûres et confortables. Si possible, ces solutions devraient être décarbonées, mais même un bus de transport régional non électrique est un meilleur choix que la voiture privée. Et si vous avez vraiment besoin d’une voiture, essayez d’en avoir une électrique.

Grand problème, grande solution (Benoît Thirion, Avocat – Expert Terra Nova)


Quel est le problème avec les transports ?

Le transport est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, avec une part de 30 % des émissions nationales en France. Malgré quelques progrès, la décarbonation des transports n’est pas une réussite, car c’est le seul secteur qui n’a pas réduit ses émissions depuis les années 90. La part la plus importante revient au transport routier, qui représente 80 % des déplacements des personnes et 90 % du fret.

Ce secteur devrait-il donc être une priorité pour la décarbonation ?

Nous sommes dans une situation où le plus gros problème contient aussi la plus grosse solution. Le transport étant le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, il doit faire l’objet des réductions les plus importantes. Cela aidera le climat et la pollution de l’air, mais aussi la souveraineté énergétique parce qu’avec plus d’électrification, nous importerons moins de combustibles fossiles, et la souveraineté économique parce que les importations d’hydrocarbures représentent une grande partie de nos déficits et de notre pouvoir d’achat.

Quels sont les obstacles ?

L’aspect social est très important. Le risque est de créer une société à deux vitesses, avec des métropoles qui se décarbonent avec de bons transports publics et de bonnes infrastructures, comme les pistes cyclables, et des zones périurbaines, où les véhicules individuels à moteur thermique restent la seule solution. Et cet éclatement pose des problèmes aux personnes qui n’ont pas pu décarboner parce qu’elles n’ont pas d’alternatives.

Que peut-on faire ?

La décarbonation coûte cher et si l’on veut que les populations à faible revenu s’y engagent, il faut les aider. L’effort principal doit porter sur l’électrification. Même si nous doublons la part du transport ferroviaire dans le mix, la part du transport routier restera supérieure à 70 % du total. Il faut aider à l’acquisition de véhicules électriques, mais nous avons aussi besoin de plus d’infrastructures, comme des points de recharge pour ces véhicules.

Et les transports publics ?

Nous avons besoin de plus de transports en commun dans les zones non urbaines, comme le transport express sur les routes, qui comprendrait des bus express et le covoiturage pour les trajets quotidiens plus longs. Les trains, qui sont d’excellents véhicules de transport en commun, ne sont pas toujours disponibles dans certaines régions.