Atteindre 55% de réduction des émissions de GES, un objectif qui impliquera une action massive sur les mobilités du quotidien

02.10.2020
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Le transport et la mobilité doivent pleinement contribuer à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de 55% d’ici 2030.

Le secteur se trouve au cœur des transitions et crises auxquelles l’Union Européenne se doit d’apporter des réponses.

D’un point de vue environnemental d’abord, le secteur des transports pèse pour 30% des émissions de GES en Europe. La mobilité c’est également la liberté de circuler, fondement du projet européen mais aussi un levier majeur pour répondre aux enjeux d’équité et d’inclusion sociale.

D’autre part la mobilité des travailleurs est au cœur du dynamisme économique de notre continent et doit être une préoccupation claire de l’Union Européenne. Rappelons en effet que le coût social et économique de la congestion urbaine en Europe est évalué à 270 milliards d’euros par an1.

La crise de la COVID-19 laisse déjà entrevoir de nouvelles dynamiques et transformations qui impacteront la mobilité : crise de confiance envers le transport public, renforcement de l’usage de la voiture individuelle, possible fuite durable des centres urbains, augmentation des distances parcourues et donc des émissions. Tous ces éléments ne font que renforcer l’intérêt d’une Stratégie Européenne ambitieuse et résolument tourné vers la mobilité du quotidien.

Bilan du Livre Blanc et mobilité des Européens

Le secteur des transports est le seul à ne pas avoir baissé ses émissions depuis 1990 avec une augmentation de 18% depuis 1990. Sur la totalité des émissions imputables aux transports, 23% concernent les zones urbaines2. La grande majorité de ces émissions proviennent de l’utilisation privée de la voiture. Or ce n’est pas dans les centres villes que l’usage de la voiture est le plus fort mais dans les périphéries et en particulier dans leurs liens et connexions avec les villes centres. C’est donc dans ces zones que se polarisent les principaux défis liés à la décarbonation de la mobilité en Europe. C’est en agissant sur cette mobilité du quotidien des citoyens des aires urbaines que l’on parviendra à inverser la courbe des émissions de CO2 pour le transport en Europe.

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Ces déplacements, principalement liés au travail, se font en grande majorité en voiture privée car plus l’on s’éloigne du centre des agglomérations, plus les offres de transport public diminuent. Alors que les centres urbains concentrent emplois et alternatives à la voiture individuelle, ils voient également les prix des logements s’accroitre, obligeant à habiter plus loin que son lieu de travail. Les distances domiciles travail ne peuvent ainsi qu’augmenter.

La tendance provoquée par la crise sanitaire de la COVID-19 de fuite des centres urbains va aggraver cette tendance. La faiblesse des alternatives à la voiture individuelle génère des flux de véhicules importants sur les liens périphéries-centres et ce qui sature les réseaux routiers, provoquant congestion et pollution. Il faudra demain beaucoup plus de transport public pour relier les périphéries aux centres d’emplois afin de limiter les émissions de GES, assurer la qualité de l’air et enfin préserver les espaces publics en centres villes, qui font partie de nos biens communs.

Le déploiement du transport public en zones urbaines est aussi la bonne réponse aux enjeux sociaux. La mobilité des travailleurs est en effet l’un des principaux facteurs d’absorption des disparités économiques et territoriales et le transport public coute moins cher que l’usage de la voiture individuelle. La stratégie pour une mobilité durable et intelligente ne pourra ainsi être efficace que si elle place la mobilité du quotidien au centre de la politique européenne. Si la réalisation de l’espace unique de transport européen doit demeurer un objectif de l’Union Européenne, la mobilité longue distance et transfrontalière en Europe ne concerne qu’une très faible minorité des citoyens et des émissions de CO2. Malgré des objectifs stratégiques bien identifiés, le livre blanc de 2011 s’est essentiellement focalisé sur les déplacements interurbains ou entre les Etats Membres, en oubliant parfois les mobilités du quotidien.

Ainsi en France, 98% des déplacements font moins de 80 km. Une autre étude menée à l’échelle européenne révèle que le trajet moyen le plus fréquent des citoyens européens est de 17 km3. Or cette mobilité du quotidien se fait aujourd’hui à plus de 80% en voiture individuelle. Si l’Europe veut se rapprocher des citoyens elle doit focaliser son attention et ses moyens sur les besoins du quotidien du plus grand nombre.

La période qui s’ouvre nécessite une réorientation vigoureuse de l’action de l’Union Européenne, alors que les enjeux et impacts climatiques se font chaque jour plus pressants. Cette réorientation est rendue encore plus pressante par la crise de la COVID-19. La crise sanitaire met à mal l’outil essentiel pour répondre aux enjeux de la mobilité du quotidien évoqués ci-dessus : le transport public. Au-delà des pertes financières lourdes pour le secteur (l’UITP les estime à 40 milliards d’Euros sur l’année 2020), la crise vient réinterroger les tendances liées à la mobilité des européens : crise de confiance dans le transport public, report modal vers la voiture individuelle, fuite des centres urbains etc. Aujourd’hui le transport public oeuvre pour retrouver la confiance de ses usagers et proposer des alternatives à la voiture individuelle plus que jamais indispensables d’un point de vue environnemental, sanitaire mais aussi économique. Ces tendances doivent être clairement traitées par la Stratégie Européenne si celle-ci veut inverser la courbe des émissions du secteur des transports.

 

Réorienter la politique de l’Union Européenne vers la mobilité du quotidien des Européens

La révision de la stratégie Européenne doit être l’opportunité pour l’Union Européenne de résoudre les défis environnementaux de la mobilité, en prenant en compte les impacts de la crise de la COVID-19.

Le report modal : outil essentiel à la réduction des émissions

Atteindre les objectifs de baisse de 55% des émissions d’ici 2030 suppose de réduire soit les distances parcourues, soit les émissions unitaires, soit d’opérer un report modal permettant de transporter plus de personnes par véhicules (Emissions = Km parcourus X émissions unitaires X taux de remplissage).

Ceci ne pourra se faire qu’avec le seul basculement vers le véhicule électrique, dont le déploiement sera trop lent : une voiture achetée aujourd’hui sera encore présente en 2035. Si l’on parvient à réduire les émissions unitaires de 20% d’ici 2030, ce qui semble très optimiste compte tenu des parts de marché du véhicule électrique, le report modal et la réduction des distances devront être à l’origine d’au moins 55% de la baisse des émissions : la marche est très importante si nous voulons être au rendez-vous de 2030. Une politique d’urbanisme visant à réduire les distances pour les déplacements locaux, associée à un report modal de la voiture vers les transports publics pour les trajets domicile-travail, sera la clé pour atteindre les objectifs de l’UE en matière de réduction des GES.

Ce report modal doit se focaliser sur les liaisons villes et périphéries et entre les villes, en agissant sur 3 piliers :

  • L’offre de transport (services car express à haute fréquence, services ferroviaires dans les noeuds urbains,)
  •  Les infrastructures multimodales : mise à niveau du ferroviaire, voies réservées sur les artères routières pour transport en commun et co-voiturage, avec des parkings relais, hubs multimodaux. La politique vélo doit être pensée en rabattement vers ces solutions de transports publics, puisque si le vélo est un outil idéal de la mobilité du quotidien, il ne peut gérer des distances trop importantes.
  •  Les solutions numériques multimodales permettant d’accéder de manière fluide à tous les services de mobilité via un support unique.

 

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Pour agir sur la décarbonation de la mobilité locale, l’Union Européenne possède des leviers d’action :

1. L’accroissement drastique des financements européens fléchés vers la mobilité du quotidien et les noeuds urbains

La principale source de financement de l’UE en faveur de la mobilité urbaine (transports urbains propres, systèmes de transport intelligents, pistes cyclables, transport multimodal) est constituée de deux des cinq Fonds structurels et d’investissement européens : le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds de cohésion (FC). L’enveloppe dévolue à la mobilité urbaine au sein de ces fonds a été portée à 16,3 milliards d’euros pour la période 2014-2020 ce qui représente 6% des deux budgets cumulés. Il convient de pérenniser et d’accroitre cette enveloppe.

Adresser les objectifs de décarbonation des transports de l’Union Européenne ne se fera pas sans intégrer beaucoup plus fortement qu’aujourd’hui les noeuds urbains dans le MIE. Selon le rapport de la Cour des Comptes européenne, sur la période de programmation 2014-2020, le montant du financement destiné aux noeuds urbains dans le cadre du MIE s’élevait à 214 millions d’euros, soit 1% du total. Si l’on souhaite adresser de manière cohérente les mobilités du quotidien, en lien avec les réseaux structurants européens, les transports en commun périurbains et les STI urbains devraient représenter au moins 20% des subventions du MIE.

Il y a un enjeu important autour de la réorientation plus forte du MIE vers les mobilités du quotidien, c’est-à-dire vers les aires urbaines, là où se situent les besoins de déplacements des populations ainsi que les enjeux climatiques. L’Union Européenne doit y voir une opportunité d’accroitre sa légitimité auprès des citoyens européens avec une Europe plus proche des préoccupations quotidiennes des individus, et oeuvrant pour une meilleure inclusion sociale, autrement plus forte qu’avec des liaisons transfrontalières ou longue distance, qui ne concernent qu’une part très faible des déplacements des européens.

2. Le développement d’une véritable stratégie de transition énergétique des flottes de transport public en Europe.

  • Des mécanismes de soutien financier européen et nationaux (révisions des règles d’aides d’Etats afin d’accroitre les aides à destination des opérateurs et collectivités pour le renouvellement des flottes)
  • La révision de la DAFI4 doit inclure beaucoup plus fortement le développement des infrastructures de recharges en carburants alternatifs pour les flottes de transport public.
  • Maintenir une stabilité dans la liste des carburants de substitution autorisés afin de maintenir la cohérence politique avec la directive sur les véhicules propres récemment révisée et de préserver sa neutralité technologique. Toutes les solutions technologiques ne sont pas adaptables à tous les territoires. Les collectivités locales doivent être en mesure de choisir le mix énergétique le plus adapté à leur territoire et aux types de services développés.

3. La mise en place de mesures visant à une véritable internalisation des coûts environnementaux des moyens de transport

La Commission peut agir pour soutenir des conditions de concurrence équitables entre les modes de transport, en tenant compte de leurs externalités. Cela pourrait se faire, par exemple, par le biais du principe de l’ « utilisateur-payeur » et du « pollueur-payeur », par la promotion de tarifs de congestion aux revenus fléchés vers le financement d’offres de mobilité, la taxation des modes de transport qui émettent du CO2 ou une taxation réduite de l’énergie pour les services de transport public. L’objectif majeur qui est le report modal ne sera jamais atteint sans la mise en place de contraintes sur l’usage de la voiture (la part modale de la voiture n’a pas diminué depuis 20 ans en Europe).

4. Ancrer le rôle du ferroviaire dans la réduction de l’empreinte environnementale du transport

Selon les chiffres de l’ERRAC, le transport ferroviaire régional et suburbain représente 90% du nombre total de passagers du mode ferroviaire et transporte 10 fois plus de passagers que l’aérien. Si ces chiffres confirment une nouvelle fois la tendance européenne à une mobilité locale, ils démontrent surtout le rôle que doit tenir le mode ferroviaire dans la future stratégie européenne. Concurrence équitable et transparente entre les acteurs, investissements sur les réseaux pour le maintien et développement des lignes suburbaines : l’Union Européenne peut poser le cadre permettant un report modal plus important vers le mode ferroviaire.

5. Orienter et soutenir l’innovation au service du transport public et partagé

La mise en place d’une politique d’innovation dans la mobilité doit avant tout cibler les transport publics et partagés. Le soutien doit se concentrer sur le développement de solutions de mobilité autonomes partagées et de solutions numériques multimodales avec le transport public en colonne vertébrale. Des programmes tels qu’Horizon Europe ou Invest EU devraient pouvoir viser plus de projets en lien avec la mobilité du quotidien et la mobilité partagée. L’innovation doit être un levier pour accroitre le report modal.

6. Garantir une souveraineté numérique aux collectivités locales en charge de l’organisation de la mobilité sur leur territoire

L’origine de toute action stratégique et politique doit reposer sur un diagnostic rigoureux permettant de partir des besoins et des usages. L’Union Européenne, les Etats Membres, les villes manquent d’indicateurs fiables et harmonisés en matière de mobilité en particulier dans les zones urbaines. Ces indicateurs permettront à la Commission Européenne, et aux Collectivités locales en premier lieu, d’élaborer les politiques publiques les plus adaptées et de les évaluer. L’accès aux données des véhicules connectés et des assistants de conduite (Google, TomTom, Waze, …) devrait être de droit pour les autorités publiques locales afin de mieux comprendre les mobilités individuelles. La France l’a d’ores et déjà adopté dans sa loi d’orientation des mobilités en Décembre 2019. Ces données peuvent à ce titre être qualifiées de données d’intérêt général.
L’Union Européenne doit également reconnaitre le rôle des collectivités locales dans le développement et la gouvernance de solutions MaaS. En fixant les règles du jeu (articulation des modes, utilisation de l’espace publique, gouvernance des données etc), la collectivité locale garantit que le MaaS est construit au service de l’intérêt général avec le transport public en colonne vertébrale. La gouvernance des solutions MaaS doit contribuer efficacement au report modal et garantir la capacité de l’autorité de transport à organiser la mobilité sur son territoire de manière durable et inclusive. La révision de la Directive ITS peut être une occasion de garantir cette souveraineté numérique des collectivités locales afin d’accélérer le report modal et le développement de solutions numériques respectant les politiques locales de transition écologique.

7. La révision du paquet mobilité urbaine en incitant à des approches innovantes de planification de la mobilité

Il convient de lier aménagement urbain et planification de la mobilité. Ce n’est qu’en coordonnant zones urbaines et périurbaines que l’on pourra résoudre les enjeux de mobilité du quotidien. L’exemple de Copenhague est à ce titre intéressant puisque la ville n’autorise l’implantation de bureaux et d’espaces de travail qu’à proximité de grandes stations de transport publics et depuis longtemps l’interdiction d’urbaniser à plus d’1km des gares.

1 et 2 European Court of Auditors – Special report 06/2020: Sustainable Urban Mobility in the EU: No substantial improvement ispossible without Member States’ commitment

3 Fiorello, Davide, et al. « Mobility data across the EU 28 member states: results from an extensive CAWI survey. » Transportation research procedia 14 (2016): 1104-1113.

4 DAFI : Directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs

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