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Les déplacements pendulaires interurbains et le potentiel de report modal

  • Anne Aguiléra, Benoit Conti, Sylvestre Duroudier, Florent Le Néchet (LVMT)

    Anne Aguiléra, Benoit Conti, Sylvestre Duroudier, Florent Le Néchet (LVMT)

    Laboratoire Ville Mobilité Transport

  • Jean Coldefy

    Jean Coldefy

    Ingénieur, Conseiller scientifique de Geonexio, Expert mobilité

03 Mars 2025

La décarbonation des transports, seul secteur dont les émissions n’ont pas baissé depuis 30 ans, est un défi majeur pour les années à venir. En France, près des deux-tiers des déplacements du quotidien sont effectués en voiture et jusqu’à 75 % pour les trajets domicile-travail. Ces derniers sont aussi, selon l’Insee, responsables du quart des émissions de gaz à effet de serre émis par les voitures des particuliers, et de 13 % de l’ensemble des émissions du secteur des transports.

Si les déplacements pendulaires sont principalement réalisés à l’intérieur du périmètre des villes (au sens des aires d’attraction définies par l’Insee), les flux interurbains connaissent une croissance notable. Plus de 3 millions de personnes (soit 10 % des actifs vivant en France) occupent désormais un emploi situé en dehors de leur aire d’attraction de résidence. C’est 50 % de plus qu’il y a vingt ans.


Portant sur une distance moyenne de 35 km, soit le double de la distance domicile-travail de l’ensemble des actifs, et réalisés dans plus de 90 % des cas en voiture, les déplacements pendulaires entre villes sont, selon l’Insee, responsables d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des trajets domicile-travail. Ils sont pourtant peu intégrés aux réflexions sur le report modal vers les transports collectifs (routiers ou ferrés). L’intra-urbain reste l’échelle de référence, y compris d’ailleurs en matière de collecte de données sur les mobilités, pour des raisons historiques et liées aux formes de gouvernance.


Dans le cadre d’un partenariat avec Transdev, le Laboratoire Villes Mobilités et Transport de l’Université Gustave Eiffel vient de publier un Atlas sur les trajets domicile-travail interurbains en France continentale. Basé sur les données du recensement de 2018, il permet de visualiser et caractériser ces flux aux échelles nationale et régionale, et de réfléchir aux conditions de leur report modal vers les transports collectifs. L’Atlas est plus spécifiquement concentré sur les villes comptant entre 50 000 et 700 000 habitants, qui sont l’origine ou la destination de 80 % de ces déplacements. Cet atlas présente les grands enseignements de l’étude au niveau national puis au niveau régional avec des cartographies et tableaux à chacun de ces échelles.

La carte ci-après indique au niveau national les liaisons les plus importantes, c’est-à-dire comptabilisant au moins 500 actifs (dans un sens).

Carte des déplacements pendulaires

Les échanges avec l’aire d’attraction de Paris, qui concernent environ 100 000 personnes, sont globalement atypiques. Les transports collectifs y sont souvent favorisés par la performance des liaisons ferroviaires, des distances élevées et des difficultés de circulation et de stationnement dans l’agglomération parisienne. Les échanges entre Paris et Reims sont emblématiques de cette situation : la moitié des actifs concernés vont au travail en transports collectifs.

Partout ailleurs, les déplacements pendulaires interurbains dessinent des systèmes urbains variés, parmi lesquels quelques figures typiques se dégagent : des étoiles autour de grandes villes (comme Rennes, qui échange beaucoup avec Vitré, Fougères et Saint-Malo) ou de villes de moindre taille (par exemple autour de Bourges), des systèmes multipolaires autour de Nantes, Angers, Cholet, La Roche-sur-Yon, des corridors (comme Nancy-Metz-Thionville), ou encore des échanges intenses entre deux villes de tailles proches (par exemple Pau et Tarbes, ou encore Belfort et Mulhouse). À une échelle communale, la dispersion spatiale des déplacements interurbains est importante et la part modale des transports collectifs, souvent faible, admet cependant des variations selon les liaisons, comme le montrent la carte et le tableau de synthèse de la région Occitanie.

Carte de synthèse région Occitanie

Diminuer l’usage de la voiture individuelle sur une partie des trajets interurbains apparaît souvent complexe, mais pas hors de portée. Deux principaux cas se présentent : le renforcement de l’usage de lignes de transport public existantes et la création de nouvelles lignes ou de services de covoiturage.

Certaines lignes de transports publics sont déjà relativement bien utilisées. C’est en particulier plus souvent le cas pour les liaisons entre deux communes-centres, vers les grandes villes, lorsque le temps de trajet par la route dépasse 45 minutes, ou encore lorsque la commune de résidence ou de travail est située à moins de 10 km d’une gare. Toutefois les marges de progression sont importantes : parmi les trajets intercommunaux supérieurs à 100 personnes, seulement 15 % concernent des liaisons où la part modale des transports collectifs est située entre 25 % et 75 %. Plusieurs pistes d’action sont envisageables. L’amélioration de l’offre existante (trains ou cars) par une adaptation des horaires, des fréquences et des tarifs aux mutations du travail comme le développement du télétravail. Cette politique de renforcement de l’offre fait surtout sens sur des liaisons vers des communes-centres (qui représentent la moitié des navettes interurbaines étudiées dans l’Atlas), caractérisées par des volumes d’actifs importants et pour lesquels les transports collectifs font déjà l’objet d’un usage significatif. Des politiques favorisant le rabattement vers les transports collectifs doivent également être envisagées, notamment dans le périurbain : pistes cyclables, local à vélo sécurisé, parking-relais avec stationnement gratuit ou à faible coût pour les usagers des transports collectifs.

Le second point (la création de nouvelles offres) se heurte à la dispersion des flux interurbains. La majorité des déplacements interurbains concernent, à l’origine ou à la destination, des communes de banlieue ou périurbaines : seuls 14 % relient deux communes-centres*, et 38 % connectent une commune de banlieue ou périurbaine avec une commune-centre. Par ailleurs, deux tiers des échanges concernent moins de 50 personnes. Sur ces trajets, la massification par le transport public n’est pas toujours possible. Malgré tout, de nombreuses liaisons interurbaines semblent propices à la création d’une offre de transports collectifs : celles où le volume d’actifs est important mais l’usage des transports collectifs très faible, voire inexistant. En particulier, la part des transports collectifs est inférieure à 25 % pour les deux tiers des 120 000 liaisons entre aires d’attraction empruntées par plus de 500 actifs. Compte-tenu de la dispersion spatiale des flux, des distances et des volumes en jeu, les cars express peuvent constituer une solution moins couteuse et rapide à déployer. Enfin, sur des liaisons concernant peu d’actifs et des distances intermédiaires (10 à 30 km, typiquement), organiser des services de covoiturage fait partie des options pertinentes.

 

52% des flux Domicile Travail vont vers les villes centres

52% des flux Domicile Travail vont vers les villes centres

Au-delà des dispositifs techniques de report modal, l’enjeu est aussi celui d’une meilleure articulation des politiques de transport aux échelles urbaine et régionale. Une plus grande utilisation des transports publics pour les mobilités interurbaines est un enjeu environnemental. C’est aussi un enjeu social important compte tenu des difficultés d’accès à l’emploi et au logement pour certaines catégories de population et des budgets mobilité élevés pour ces navetteurs eu égard aux distances parcourues.

*Ce qui représente 18 % des voyageurs-kilomètres des flux interurbains des villes moyennes.